Quakers (Geoff Barrow)

Arno 14 mai 2012 0
Quakers (Geoff Barrow)

Artiste : Geoff Barrow
Genre : Hip Hop
Label : Stone Throws
Date de sortie en France : Avril 2012
Nombre de morceaux : 41

Tout comme le jazz, le hip hop est un univers musical d’une ampleur ahurissante, en expansion permanente. Tenter d’en couvrir le spectre le plus large à travers un seul album relève au mieux de la gageure, au pire d’un égo surdimensionné qui mènera inexorablement au naufrage intégral. Aussi lorsque Geoff Barrow, hyperactif cerveau de Portishead, annonça un peu partout son intention de créer « son » album type, on put hausser un sourcil de curiosité.  Après tout, on connaît le talent de l’homme, alors pourquoi pas ? Et puis quelques mois plus tard, les spectateurs du « Faites le Mur » de Banksy purent entendre quelques pistes du futur bébé.  La curiosité devint excitation. Et si Geoff Barrow était en passe de remporter son pari ? Avec «Quakers », a-t-il créé l’album de hiphop ultime ? 

Album "Quackers" par Geoff BarrowPour relever le défi, Barrow a su s’entourer. Quakers est donc un collectif de trois producteurs (son acolyte de Portishead 7-Stu-7 et l’australien Katalyst) et d’une trentaine de rappeurs. Même le collectif Odd Future fait pâle figure à côté. On y retrouve de vénérables vétérans (Booty Brown de The Pharcyde), des rappeurs indé bien rodés (Dead Prez), des poulains de Stone Throws (le funky et vibrionnant Aloe Blacc, mais pas que…) et une palanquée de jeunes inconnus prometteurs castés de ci de là mais surtout sur le web. Ô miracle et premier résultat impressionnant : Quakers évite l’effet compilation ou empilement de featurings. Il se dégage de l’album une majestueuse et incroyable cohérence. A n’en pas douter, il y a là des heures et des heures de travail pour marier les différents univers, dans le souci du détail caractéristique de Portishead. L’obédience triphop de Barrow est du pain béni pour les rappeurs qui viennent tisser leurs toiles sur des arrangements riches et complexes. On sent rapidement que la pléthore de participants a pris son pied de A à Z dans la création de Quakers et qu’un artiste n’a été plus mis en avant qu’un autre.

En résulte un monstre. Une somme, une encyclopédie en 41 morceaux. Les pistes étant relativement courtes (2 minutes en moyenne), chacune est un condensé stylistique et ne laisse aucun répit. Les influences se mélangent, s’affrontent, sans jamais se marcher dessus, ce qui était loin d’être évident. Ici le groove typique des 70’s cède la place à des lignes de synthé simplistes que ne renierait pas la New Wave, là ce sont des sonorités repêchées dans les influences thug des années 90 qui s’effacent devant des expérimentations minimalistes…Quakers est une merveille de production et ce qui devait être un épuisant marathon se transforme en agréable ballade printanière.

Autre bonne nouvelle, les textes sont globalement bons. On pourra même toucher la grâce par moment avec une écriture davantage sur l’os, des punchlines plus sèches qui explosent comme des obus, des flows nerveux et inquiétants au service de sujets plus politiques ou plus audacieux. Parfois, en de rares occasions, l’équilibre se rompt et les beats prennent le pas sur des paroles plus consensuelles. On ne peut pas être parfait en tout, d’autant plus que le moyen ici reste bien au dessus de la médiocrité généralisée de la production du moment.

Dans cet océan de félicité musicale, difficile de faire un consensus sur les titres les plus marquants. Dans 3 genres différents, on pourrait retenir Smoke, Belly of the Beast et Sign Language. Le premier pour le flow de Jonwayne et l’impression d’être revenu dans la fosse d’un concert de Marvin Gaye, le second pour son écriture tendue, son instrum’ glauque, distordue et suraiguë. Et le dernier parce que j’aime beaucoup Aloe Blacc. Pour ceux qui ne connaissent pas, Aloe Blacc est un peu comme Ben l’Oncle Soul, mais en bien. Pour l’avoir vu en live, cet artiste plutôt funk-soul a une bonne base hiphop , et c’est un excellent rappeur quand il décide de s’y (re)mettre. C’est le cas sur cette piste, et le résultat est très convaincant.

Le destin de Quakers est inscrit dans son nom : ébranler les fondations du hiphop et faire bouger tel un tremblement de terre. Geoff Barrow a probablement marqué l’histoire avec cet album dense, complet, définitif, entier et un tantinet nostalgique. Plus qu’un album, d’ailleurs, il s’agit d’une véritable bande son, celle d’un genre. Sans l’ombre d’un doute un des meilleurs disques de 2012, si ce n’est plus.

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