Dossier : Marvel Studios, l’empire d’un renouveau

Antoine 12 juillet 2014 0
Dossier : Marvel Studios, l’empire d’un renouveau

Alors que Les Gardiens de la Galaxie devraient encore ajouter une pierre à l’édifice gargantuesque du Marvel Cinematic Universe, revenons sur les particularités de l’écriture assez unique de cet ensemble de films, qui ont, indéniablement, imposé un style dans le monde hollywoodien. Quelles sont ses qualités, ses limites ? Quels enjeux se sont posés, et se posent aujourd’hui, les studios Marvel ?

Le super-héros tel que l’on entend le terme aujourd’hui est né avec les comics, notamment ceux inventés par les deux maisons d’édition rivales nées dans les années 30 : DC Comics et Marvel Comics. Leurs personnages en costumes, partis dans une croisade perpétuelle contre le crime, ont bien sûr évolué avec le temps. A l’image de Captain America, créé explicitement afin de servir d’outil de propagande durant la Seconde Guerre mondiale, les super-héros reflètent les malaises de leur époque, devenant des mythes modernes réadaptables à l’infini. Ils ont ainsi dépassé le médium de la bande-dessinée pour se tourner vers d’autres arts tels que le cinéma, et tout particulièrement grâce à un nouveau souffle de ce type de productions dans les années 2000. Avec cette prolifération et ces codes, le film de super-héros n’est plus aujourd’hui qu’une simple filière du cinéma d’action : il s’agit d’un genre à part entière, débutant dès 1979 avec Superman du côté de DC Comics. Mais dans les années 90, l’industrie du comic-book est au plus bas, et Marvel commence à vendre ses licences à différentes boîtes de production pour les adapter sur grand écran. C’est ainsi que le pari réussit, suite au succès d’X-Men (2000) et de Spider-Man (2002), qui redéfinissent la vision des super-héros en sortant du cliché du récit décérébré mettant en scène des surhommes se bastonnant à longueur de journée. Le premier a plu dans le traitement de ses nombreux personnages dans un récit uchronique permettant des réminiscences à la réalité et à l’actualité. Le deuxième, lui, a conquis le public par son histoire de passage à l’âge adulte au sein d’un patriotisme légèrement caricaturé par le cinéaste Sam Raimi. Marvel Studios a décidé alors de reprendre les choses en main, et d’imposer son propre style. En bref, équilibrer le réalisme et le sérieux qui feront le succès de la trilogie Dark Knight à l’humour et l’aspect divertissant que se doit d’avoir un blockbuster. Le studio s’est ainsi essayé à un pari risqué sur le long terme mais aujourd’hui très gratifiant en créant plusieurs univers (chacun correspondant à un héros) pour finalement relier leurs diégèses, afin de conclure sur un film choral, et peut-être repartir sur d’autres cycles.

La Phase I : Une avancée risquée, mais consciente.

Tony Stark (Robert Downey Jr.), testant son armure.

Tony Stark (Robert Downey Jr.), testant son armure.

Dès la sortie d’Iron Man en 2008, les intentions de Marvel Studios semblent claires : raconter les origines de leurs super-héros en les ancrant dans l’actualité. En ce qui concerne Tony Stark, milliardaire et ingénieur de génie dirigeant la société Stark Industries, (principalement responsable d’armes de pointe), il est surtout question du problème inévitable du terrorisme international, lorsqu’il est enlevé par des combattants inconnus en Afghanistan (une métaphore d’Al-Qaïda). Contraint de fabriquer une réplique d’un missile qu’il est venu tester pour l’ennemi, il en profite pour s’échapper en créant une armure dotée de gadgets. De retour aux États-Unis, il la perfectionne et devient Iron Man. Véritable révolution du genre, le film est tout d’abord un divertissement de qualité qui donne une place importante à l’humour, en grande partie grâce au charisme et au cabotinage de son acteur principal Robert Downey Jr. Néanmoins, il n’en oublie pas d’être une critique assez acerbe des actions des USA en Afghanistan, s’éloignant des problèmes internes des États-Unis habituellement représentés, comme dans les Spider-Man. Ce qu’il a d’intéressant, c’est qu’il ne dénonce pas l’utilisation d’armes en tant que telles, mais la façon dont elles sont utilisées. L’antagoniste principal devient dès lors Obadiah Stane (Jeff Bridges), le second de Stark Industries. Ce dernier voit d’un mauvais œil la reconversion du héros ; il souhaite à tout prix exploiter son armure, avant de s’en créer une lui-même. A l’inverse de Batman ou de Superman qui prônent le pacifisme, le dilemme d’Iron Man se pose quant au bien-fondé de la création de Stark. Il répond à la violence par la violence. L’intérêt du premier volet est de raconter la transformation d’un personnage aveugle par rapport au monde qui l’entoure et qui n’hésite pas à briser la loi de l’alter-ego en avouant en public qu’il est Iron Man. Un joli doigt d’honneur aux codes des films de super-héros.

Une remise en question un peu étrange...

Une remise en question un peu étrange…

Face au succès de ce coup d’essai, Iron Man 2 arrive sur les grands écrans en 2010. En plus de devoir affronter un nouvel ennemi, Whiplash (Mickey Rourke, voir l’extrait ci-dessous), Tony Stark doit lutter pour la conservation de sa machine afin d’éviter qu’elle ne tombe entre les mains du gouvernement. Iron Man est représenté dans ce volet comme un enjeu politique, qui parvient à calmer les tensions ouest-est, mais dont il peut perdre le contrôle. Marvel Studios débute avec cet épisode sa réflexion liée à un certain second degré sur le rôle des super-héros. Avec pragmatisme, les créateurs reconnaissent que leurs figures surhumaines sont des outils (artificiels) de dénonciation, voire de propagande. Le film a plus de difficultés quand il doit décrire les doutes de Tony Stark, qui reflètent une sorte de crise d’ado attardée, mais toujours pleine d’humour.

Bruce Banner (Edward Norton) n'est pas content !

Bruce Banner (Edward Norton) n’est pas content !

Dans la même optique, L’Incroyable Hulk de Louis Letterier (2008) présente des dérivations scientifiques qui ont mené Bruce Banner (Edward Norton) à se transformer en créature verte quand il se met en colère. Là encore, les méchants sont des militaires ignorants voulant absolument contrôler Banner. Le soldat d’élite Emil Blonsky (Tim Roth) doit vaincre Hulk sans vraiment comprendre pourquoi et mute lui aussi pour devenir L’Abomination. Évidemment, il est rapidement hors de contrôle. Dommage que le long-métrage ait du mal à convaincre à cause de la platitude avec laquelle est traité le sujet (Louis Letterier est un yes-man, pas un auteur). Il n’est pas non plus totalement dénué d’intérêt. En pleine période de traumatisme post-11 septembre, les studios Marvel ont la bonne idée de décrire des États-Unis qui se créent leurs propres ennemis, qui n’ont pas besoin de menaces étrangères pour engendrer la destruction. Ils ne sont certes pas les premiers mais commencent à esquisser une évolution de l’idéologie hollywoodienne qu’ils domineront par la suite. Leur difficulté réside en fait plutôt dans la réalisation de deux autres films ne s’inscrivant pas autant dans le réalisme des trois précédents.

Thor (Chris Hemsworth)

Thor (Chris Hemsworth).

En avril 2011 sort ainsi Thor, réalisé par Kenneth Branagh. Ce super-héros est un peu particulier car il s’agit d’un dieu nordique résidant dans le royaume extraterrestre d’Asgard. Après avoir été trahi par son frère Loki (Tom Hiddleston), Thor (Chris Hemsworth) est banni par son père Odin (Anthony Hopkins) sur Terre, dans un petit village américain. Il tente alors de retrouver ses pouvoirs dans un monde qu’il ne comprend pas. Le film est certainement le plus comique de la saga Marvel avec ses nombreuses blagues anachroniques entre le monde humain et celui d’Asgard (voir l’extrait ci-dessous). Le seul véritable enjeu de ce long-métrage est de montrer que l’univers Marvel n’est pas limité qu’à la Terre, ce qui minimise l’importance des humains. Néanmoins, il confirme la nouveauté qu’apporte cette phase I : chaque film possède sa tonalité, son unicité qui permet au spectateur un visionnage singulier, sans prendre en compte les autres. Avec Branagh à la réalisation, Thor emprunte à la théâtralité shakespearienne, dont le cinéaste est spécialiste (il est entre autres derrière une adaptation de Beaucoup de bruit pour rien). Il faut reconnaître que ce style se mêle plutôt bien à la grandiloquence de son sujet et à sa narration centrée sur une royauté. Pour autant, on peut remarquer des éléments recoupant avec les long-métrages parus ou à paraître, qui offrent une étonnante cohérence à l’ensemble du cycle.

Captain America (Chris Evans) face aux troupes de l'HYDRA.

Captain America (Chris Evans) face aux troupes de l’HYDRA.

Pour finir, Captain America : First Avenger sort en août 2011 sous la direction de Joe Johnston. Le long-métrage est également particulier, car il se déroule bien loin de la description du monde moderne habituel : il a pour cadre la Seconde Guerre mondiale. Comme pour Thor, son adaptation par Marvel Studios s’impose surtout par la demande des fans et l’obligation par fidélité aux comic books de figurer dans leur projet final. Le film s’ouvre en 1942, sur l’appropriation par le nazi Johann Schmidt, alias Red Skull (Hugo Weaving) du Tesseract, un cube extraterrestre aux capacités énergétiques illimitées. Grâce à ce pouvoir, il tente de dépasser Hitler en créant sa propre armée, l’HYDRA. Du côté américain, le scientifique Abraham Erskine (Stanley Tucci) aide l’armée étasunienne avec un sous-programme visant à créer des super-soldats. Il choisit pour les premiers essais Steve Rogers, un jeune homme enthousiaste qui souhaite s’engager mais est rejeté à cause de son physique malingre. L’expérience réussit et il devient Captain America.

Face à un personnage aussi explicitement patriotique, le ton de Joe Johnston se veut léger et parodique, tout en conservant une intrigue premier degré. Le cinéaste prend au sens littéral l’outil de propagande qu’était le comic book et le super-héros est réduit à une icône lisant maladroitement sur scène un texte caché derrière son bouclier pour motiver un appel au don (voir l’extrait ci-dessous). Sans jamais perdre l’aspect divertissant habituel aux productions Marvel, le film ose démythifier son héros, et dévoile ici le véritable rôle d’un représentant de la pop-culture, la façon dont un pays manipule les esprits (plus que dans Iron Man 2). Pourtant, à l’instar de Thor, le courage naïf et caricatural de ces personnages se lie au second degré inhérent à leurs aventures. Ils sont l’anti-Iron Man, étrangers de notre monde qu’ils voient de manière innocente. Pour Captain America, son entrée au XXIème siècle se fait lorsqu’il crashe en Arctique le bombardier de Red Skull contenant plusieurs missiles nucléaires (chargés par l’énergie du Tesseract) visant les grandes villes étasuniennes. Il se retrouve cryogénisé et est découvert le siècle suivant par le S.H.I.E.L.D., une organisation de protection internationale. C’est le chef de cette agence, Nick Fury (Samuel L. Jackson) qui fait justement le lien entre les cinq films du Marvel Cinematic Universe afin de réunir tous les super-héros en une équipe : les Avengers.

A droite, Nick Fury (Samuel L. Jackson), directeur du S.H.I.E.L.D.

A droite, Nick Fury (Samuel L. Jackson), directeur du S.H.I.E.L.D.

Le projet, très attendu par les fans est confié à Joss Whedon (Firefly, Buffy contre les vampires…). Il sort par ailleurs la même année que The Dark Knight Rises, dont il peut être perçu comme une sorte d’antithèse. Là où Batman chez Christopher Nolan reflète un héros estimé comme un danger dans une société corrompue, les Avengers sont beaucoup moins hésitants. Comme leur nom l’indique, ils sont les vengeurs de l’Amérique, prêts à combattre n’importe quel nouveau danger. Joss Whedon se base donc sur les précédents films Marvel et sur leur ton volontairement léger. Adieu la noirceur et les questionnements métaphysiques, place à l’action. Avengers est certainement l’un des long-métrages les plus intéressants de l’univers Marvel, car il repose sur des paradoxes, mêle passé et présent pour écrire le futur, notamment dans sa manière de conjuguer l’aspect décomplexé des blockbusters des années 80 et 90 aux thématiques plus graves des superproductions de ce début de siècle.

L'héliporteur du S.H.I.E.L.D. dans Avengers.

L’héliporteur du S.H.I.E.L.D. dans Avengers.

Tout d’abord, l’intrigue se centre autour de la formation des héros organisée par le S.H.I.E.L.D. Utilisant un porte-avions volant ayant la capacité de se rendre invisible (l’héliporteur), l’organisation de protection est l’exemple type de l’agence fédérale que les États-Unis ont regroupé grâce à leur département de la Sécurité intérieure, créé après la tragédie du 11 septembre 2001. Néanmoins, tout comme de nombreuses organisations de cinéma, l’agence n’est pas sans faille. Ce sont eux qui contrôlent désormais le tant convoité Tesseract (le McGuffin du film). Ils prétendent ne l’utiliser que pour assurer une énergie nouvelle et économiser les ressources terrestres. En réalité, ils s’en servent pour créer des armes surpuissantes. Bien entendu, ils surestiment leur invincibilité à partir du retour de Loki (le frère de Thor), résolu à annihiler l’humanité à l’aide d’une armée extraterrestre pour régner sur la Terre. L’attaque surprise de l’héliporteur vers le milieu du film a pour conséquence de faire disparaître un personnage important de l’intrigue : l’agent Coulson (Clark Gregg). Ce membre du S.H.I.E.L.D. est un grand fan de super-héros et avoue à son idole Captain America qu’il collectionne des cartes à son effigie (renforçant son aspect d’icône propagandiste). Une fois décédé, ses cartes se retrouvent ensanglantées, et lui, un martyr. Nick Fury finit par s’exclamer en apprenant la nouvelle à l’équipe que le terme de « héros » est « une notion d’un autre temps ». Néanmoins, Whedon s’amuse aussi du statut de ses personnages en se moquant gentiment de son méchant, qui, comme chacun le sait avant même de voir le film, va perdre la bataille. L’occasion de quelques répliques amusantes par leur clin d’œil, dont celle de Tony Stark adressée à Loki : « Vous ne pigez pas. Il n’y a ni trône, ni version de l’histoire où vous gagnez. » (voir l’extrait ci-dessous)

Les Avengers au complet pour la bataille finale.

Les Avengers au complet pour la bataille finale.

Le sacrifice symbolique de Coulson devient dès lors la motivation des Avengers pour ne plus rester passifs et agir dans une longue et impressionnante bataille finale. Joss Whedon crève alors l’abcès du cinéma hollywoodien de la décennie passée depuis les attentats du World Trade Center en faisant se dérouler ce grand moment de divertissement à Manhattan. Le berceau du traumatisme américain peut à nouveau être imaginé détruit et en proie aux flammes. Les étasuniens sont de nouveau attaqués sur leur territoire mais en sortent désormais vainqueurs. Il suffit de voir le long plan-séquence (ci-dessous) passant d’un héros à un autre avec une chorégraphie millimétrée pour se rendre compte de l’unicité retrouvée et de l’optimisme des États-Unis. Là est la force et le paradoxe d’Avengers : il se base sur l’imagerie sombre et critique envers son pays propre au traumatisme post-11 septembre pour l’en extirper. D’un autre côté, ce rejet des blockbusters paranoïaques lui permet d’appuyer et d’imposer la représentation actuelle toujours plus réaliste et impressionnante de la destruction massive dans ce type de productions, débutée par la saga Transformers et suivie par Man of Steel, Star Trek Into Darkness ou encore Pacific Rim. Sans nul doute que ce pari a été un bon investissement pour Marvel Studios, car le long-métrage est à ce jour le troisième film le plus rentable de l’histoire du cinéma (à échelle mondiale) avec 1,5 milliards de dollars de recettes pour 220 millions de budget. En clair, la démythification des héros américains et surtout de l’idéologie américaine telle que l’a inculquée Hollywood pendant plus de dix ans semble avoir pris fin grâce à Joss Whedon.

La Phase II : Une remise en question pour plus de puissance.

L'homme face à la machine, l'homme face à son alter-ego.

L’homme face à la machine, l’homme face à son alter-ego.

Face au succès d’un tel optimisme, on aurait pu croire que Marvel Studios suive la voie de leurs précédents films pour débuter sur ce qu’ils appellent la phase II. Mais qui dit nouveau cycle dit nouveau ton, et la bonne idée des créateurs est de continuer de développer leur univers en prenant en compte la gravité des évènements passés. L’attaque alien à New-York a donc laissé des séquelles, comme le montre Iron Man 3 (2013), qui dépeint pour la première fois un Tony Stark en proie au doute quant à son statut de héros, et surtout traumatisé par la catastrophe narrée dans Avengers, au point d’en faire des cauchemars et d’avoir des crises d’angoisse (voir l’extrait ci-dessous). Si le long-métrage conserve un aspect humoristique, notamment grâce à l’écriture du cinéaste Shane Black, grand scénariste de films d’actions dans les années 80-90, qui s’amuse depuis Kiss Kiss Bang Bang à parodier les codes auxquels il a beaucoup contribué, il se distingue des autres productions Marvel par sa narration qui repose sur une remise en question de l’héroïsme. En effet, Iron Man 3 s’ouvre sur la voix-off de Robert Downey Jr. qui affirme : « Nous créons nos propres démons ». Inconsciemment, ce sont les héros qui donnent naissance à leurs ennemis, sans lesquelles ils n’auraient pas de raison d’exister. Jusqu’alors, nous étions plutôt habitués à ce type de réflexion dans Batman ou The Dark Knight, quand Le Joker explique qu’il est un alter-ego du Chevalier Noir et que ce dernier le complète. Black exploite alors merveilleusement l’idée de l’homme face à la machine. Tony Stark porte très peu l’armure dans cet épisode. Il la contrôle à distance, lui crée de nombreux copains pour servir de renforts, et surtout, il la regarde, il se trouve face à elle, face à ses propres démons, comme si Hamlet tenait un crâne de fer.

Le Mandarin, clone de Ben Laden (Ben Kingsley).

Le Mandarin, clone de Ben Laden (Ben Kingsley).

Mais le plus étonnant, c’est qu’Iron Man 3 prend le parti pris culotté de contredire les intentions du film le précédant. Un traumatisme ne s’enterre pas aussi facilement, et le long-métrage le prouve en replongeant de plus belle dans le « cinéma post-11 septembre » auquel Avengers semblait avoir donné fin. Le méchant n’est autre que le Mandarin (Ben Kingsley), bad guy culte du comic book ici transformé en copie de Ben Laden, avec messages télévisés flippants, attentats aléatoires aux États-Unis et tout le folklore. Plus fort encore, le film enfonce le cou en allant chercher du côté du scénario complotiste. Le Mandarin n’est qu’une façade, une mise en scène pour dissimuler les erreurs et les véritables projets d’Aldrich Killian (Guy Pearce), scientifique décidé à se venger de Tony Stark pour lui avoir posé un lapin. La force d’Iron Man 3 est justement cette façon de ne pas aller là où on l’attend, ressassant le thème désormais ancré dans le cinéma hollywoodien (mais pas dans le film de super-héros) de la menace intérieure dissimulée dans le sillon du terrorisme international.

La noirceur volontaire d’Iron Man 3 annonce le nouveau ton décidé par Marvel Studios, et qui se confirme avec la sortie fin 2013 de Thor : Le Monde des Ténèbres, dont le principal but est, comme pour le précédent, d’offrir des horizons géographiques encore plus lointains au MCU. Thor essaie désormais de faire instaurer la paix au sein des Neuf Royaumes, jusqu’au retour de la race soit-disant disparue des Elfes Noirs, menée par Malekith (Christopher Eccleston), qui veut y faire de nouveau régner les ténèbres. Réalisé par Alan Taylor, entre autres responsable de quelques épisodes de Game of Thrones, le film délivre un souffle épique, qui s’associe à la découverte plus approfondie du royaume d’Asgard. La plus grande qualité de Thor 2 est d’assumer les liens parfois improbables entre les univers des différents films Marvel. Ainsi, le long-métrage se permet un mélange d’influences, quitte à parfois souffrir de son melting-pot étrange de SF et d’heroic fantasy.  Mais le véritable défaut de ce volet est ailleurs, et ce dernier est tout aussi intéressant que ses qualités pour montrer les possibilités et les limites des enjeux des studios. Au-delà des rumeurs disant qu’Alan Taylor aurait été évincé de la salle de montage, on sent que Thor : Le Monde des Ténèbres a été retravaillé, à cause d’ellipses grossières et de développements narratifs approximatifs. A trop vouloir contrôler son univers, il est clair que Marvel Studios bride parfois l’imagination de ses réalisateurs. Néanmoins, jusqu’alors, ceux avec une véritable personnalité ont pu l’exprimer, ne faisant que trouver un équilibre entre l’unicité du MCU et la singularité de chaque long-métrage.

Thor et son frère Loki (Tom Hiddleston).

Thor et son frère Loki (Tom Hiddleston).

C’est donc principalement grâce à Thor 2 que l’on se rend compte que les studios Marvel n’ont qu’une priorité : leurs personnages. Quel que soit le cinéaste derrière le projet et ses intentions, le but premier est de faire évoluer les super-héros et leurs comparses. Cela peut paraître naturel, mais il s’agit en réalité d’un petit renouveau dans l’industrie hollywoodienne, habituée depuis les années 90 à des blockbusters reposant sur le principe du plot-driven (l’intrigue avant tout). Certes, ils ne sont pas les seuls (et les autres bons films de super-héros en sont des exemples), mais les productions Marvel prônent le retour du character-driven (le personnage avant tout). Dans le cas présent, les scénaristes ont donné une aura importante à Loki (voir l’extrait ci-dessous), qui plaît beaucoup aux fans, ainsi qu’à la romance entre Thor et Jane Foster. Si on revient en arrière, les enjeux narratifs d’Avengers reposent avant tout sur la cohésion difficile du groupe, chacun préférant au début agir dans son coin. Iron Man 3, quant à lui, laisse beaucoup plus de place à Tony Stark qu’à son armure. La technologie peut même devenir une impasse. Elle ne sert pas toujours (voir les dysfonctionnements et les éparpillements du Mk 42), et permet de se recentrer perpétuellement sur l’humain dans le surhomme.

Mais Le Monde des Ténèbres confirme également une tendance de la phase II, qui consiste à détruire les acquis qu’avait posés la phase I. Elle se traduit principalement par le (semi-)pessimisme des films suivant Avengers, ainsi que par l’atteinte à des éléments représentant la puissance des héros, et par métonymie de l’Amérique. Bien entendu, ces différentes attaques, qu’elles touchent le palais d’Asgard dans Thor 2 ou la villa de Tony Stark dans Iron Man 3, jouent de leur surprise, tout comme les attentats du 11 septembre 2001 en leur temps. Outre le fait qu’il s’agisse de moments de divertissement réussis, ces scènes d’action créent un rempart intéressant avec la phase I, un paradoxe lucide. Les premiers films Marvel servaient à raconter des origines, à exorciser le passé pour permettre aux super-héros d’écrire le futur, de le venger en cas de besoin sans avoir à regarder dans le rétroviseur, tandis que la phase II leur renvoie à la figure leur utilité première au sein des comic books : métaphoriser les troubles de l’actualité et ressasser les affres de l’Histoire. Thor 2 se permet même d’interroger l’utilité de leurs actions au travers de quelques répliques, dont celle d’Odin par rapport à l’avenir de leur univers : « Les Neuf Royaumes ont une aube, ils auront un crépuscule ». De plus, le sérieux de ces aventures est contrasté par un terme qui revient dans plusieurs films : « old fashioned » (à traduire comme démodé ou à l’ancienne). Les créateurs, ni même les personnages, ne semblent oublier que leur univers est puisé dans des comics dont l’aspect pulp a, depuis une bonne cinquantaine d’années, inspiré de nombreux codes de scénarisation au cinéma. Dans Iron Man 3, le terme est employé quand Tony Stark défie par la presse Le Mandarin : « There is no politis here, just a good old fashioned revenge » (« C’est pas de la politique, juste une bonne revanche à l’ancienne », voir l’extrait ci-dessous). La modernité de l’ensemble du MCU aime se mêler à des idées de style plus vieilles, voire dépassées, qui ne le rendent que plus intemporel. Captain America, lui, est l’exemple type du héros « old fashion » et l’expression vient se glisser dans Avengers, quand l’agent Coulson lui propose de remettre son vieux costume. Rogers lui demande : « Ce n’est pas… vieux jeu ? » (old fashioned en VO) Ce à quoi Coulson rétorque : « Vous savez, avec tout ce qui se passe, les gens ont besoin d’un peu de nostalgie. » (old fashioned aussi en VO).

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Le costume est plus sombre, et Captain America, accompagné de La Veuve Noire (Scarlett Johansson), ne sont pas sûrs du camp qu’ils ont choisis.

Esquissés dans les premiers films de la phase II, ces éléments sont rapidement transcendés par l’un des piliers les plus importants (et passionnants) du MCU : Captain America : Le Soldat de l’hiver. Depuis les évènements d’Avengers, Steve Rogers est maintenant un super-agent du S.H.I.E.L.D. qui tente de s’adapter à l’époque moderne après ses soixante-dix ans d’hibernation. Mais très vite, il se demande si le monde a vraiment changé. C’est définitif : rien ne va plus chez les héros, surtout maintenant que le symbole explicite des États-Unis se met à douter de son rôle et à porter un costume plus sombre. Le Soldat de l’hiver est pour l’instant le film qui creuse le plus profondément les intentions de la phase II en choisissant de s’éloigner des carcans du genre super-héroïque pour se tourner vers le thriller d’espionnage. La photographie se veut terne et accentue la froideur du verre et du métal, jusqu’à choisir cette matière pour les ailes du nouvel acolyte du Captain : le Faucon (Anthony Mackie). Les figures de la liberté ne sont plus bariolées puisqu’elles ne travaillent pas forcément pour le bon camp. Il est intéressant de voir la façon dont Marvel Studios aime à détruire les acquis de son propre univers pour les remettre en question. Captain America 2 jette ainsi un joli pavé dans la marre en reposant sa narration sur un S.H.I.E.L.D. corrompu par les ennemis d’antan de Rogers. Ce dernier devient dès lors un paria, traqué par ceux qu’il pensait être ses alliés.

Le bouclier de l'Amérique est touché au cœur même de ses idéaux.

Le bouclier de l’Amérique est touché au cœur même de ses idéaux.

Le long-métrage confirme encore plus que les autres la volonté des studios de créer une saga, et plus généralement un cinéma, qui va de l’avant. Il n’est pas tant question ici du traumatisme post-11 septembre qui gangrène le cinéma hollywoodien que des conséquences de cet événement tragique sur les États-Unis. A travers le personnage d’Alexander Pierce (Robert Redford, dont le choix n’est pas anodin puisqu’il est habitué aux thrillers d’espionnage), un reflet assez visible de George W. Bush se dessine. Les réalisateurs Anthony et Joe Russo (surtout connus pour avoir travailler sur des séries humoristiques) utilisent intelligemment la toute-puissance du S.H.I.E.L.D. (déjà légèrement dénoncée dans Avengers) pour critiquer les idées de guerre préventive et d’utra-surveillance liberticide de l’Administration Bush. Sans jamais perdre de vue la prédominance du divertissement, Le Soldat de l’hiver se veut un film plus engagé que ses prédécesseurs, et en vient à prendre du recul, tout comme le spectateur, sur la valeur éthique de tout le MCU jusqu’à maintenant. Quels éléments affirment que les long-métrages nous mettent à chaque fois du côté du bien ? Rien justement, et le film s’en amuse même en faisant de sa menace finale trois héliporteurs du S.H.I.E.L.D., que le Captain doit détruire, alors qu’un de ces modèles représentait la puissance des héros dans Avengers (voir l’extrait ci-dessous).

Si la réflexion des films évolue avec le temps, le rôle des super-héros aussi. Ainsi, Captain America  n’est plus une figure propagandiste de la Seconde Guerre mondiale, mais une mémoire d’erreurs humaines qu’il redécouvre dans une société plus moderne (la comparaison entre l’Administration Bush et un régime néo-nazi peut paraître extrême, mais elle demeure pertinente). Le Soldat de l’hiver est peut-être le long-métrage qui représente le mieux la puissance du MCU : sans jamais être infaillibles, les super-héros sont virtuellement immortels, capables de traverser les époques pour dénoncer les troubles de notre temps. Comme pour James Bond, Superman ou Batman, des acteurs peuvent se passer le flambeau afin que la flamme d’un personnage ne s’éteigne jamais. Tout n’est pas pour autant rose chez Marvel Studios, dont le pouvoir sur l’industrie hollywoodienne amène depuis quelques films des accrocs. Le plus triste exemple concerne le renvoi du génial Edgar Wright (la trilogie Cornetto, Scott Pilgrim) de la production d’Ant-Man, attendu pour la phase III. La cohésion de l’univers Marvel laisse peu de place aux divergences artistiques, et il s’agit là de la plus grosse limite que s’imposent les studios. Le pied de nez envers une majorité a du bon, mais pas quand cette majorité a compris, en regardant The Dark Knight et Inception, que désormais, les blockbusters aussi avaient droit à un auteur derrière l’objectif. Néanmoins, les plus grosses réussites du MCU sont, à l’heure actuelle, les films ayant su imposer un style, une patte (Iron Man, Avengers, Iron Man 3 et Captain America : Le Soldat de l’hiver) en parvenant à contourner les obligations du studio sans perdre de vue la route narrative construite par ce dernier.

L'univers Marvel peut-il encore s'envoler vers de nouveaux horizons, comme le Faucon (Anthony Mackie).

L’univers Marvel peut-il encore s’envoler vers de nouveaux horizons, comme le Faucon (Anthony Mackie) ?

A bien y réfléchir, toute la force de Marvel Studios repose sur ses paradoxes, pour ne pas dire ses retournements de veste. C’est un cinéma qui apprend de ses erreurs, mêle les modes des blockbusters passés et actuels pour se créer un style aujourd’hui imposé à l’ensemble de l’industrie et fortement jalousé. Dans vingt ans, il est fort probable que le Marvel Cinematic Universe serve de modèle, de point de départ à un septième art devant faire face à la rivalité toujours croissante des séries télévisées. L’architecture complexe de ces sagas demande une longue et réfléchie pré-production, dont nous sommes aujourd’hui les témoins. Depuis Man of Steel, Warner prépare sa Justice League, tandis que Sony a annoncé moult spin-offs et suites pour enrichir l’univers de The Amazing Spider-Man. La machine peut donc avoir ses défauts, notamment le floutage ambivalent de la notion de politique des auteurs si chère à nos critiques français, mais elle a compris qu’une écriture serial passionne le public, inconsciemment ou non, parce que celui-ci passe plus de temps avec les protagonistes. Il s’agit presque d’un échange, où l’on assiste à une évolution avec une proximité qui efface presque le quatrième mur. Les Gardiens de la Galaxie devraient confirmer cette tendance en repoussant encore les limites de l’univers Marvel, avant le mastodonte tant attendu qu’est Avengers : Age of Ultron. Les réalisateurs ont ainsi leur importance, et leur style sur les différents long-métrages le prouveront toujours, mais la beauté de Marvel Studios, c’est qu’il laisse sa création l’emporter. Les personnages repartent vengeurs.

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