Critique : De Rouille et d’Os

Arno 21 mai 2012 0
Critique : De Rouille et d’Os

Réalisateur : Jacques Audiard
Acteurs : Marion Cotillard, Matthias Schoenaerts, Armand Verdure, Bouli Lanners
Genre : Drame
Année de production : 2012
Date de sortie en France : 17 mai 2012
Pays de production : Belgique, France
Durée : 1h55
Classification : Déconseillé aux moins de 12 ans

Qu’il est loin le temps où Marion Cotillard jouait les utilités bien roulées chez Besson. Il aura suffi d’un rôle d’anthologie (« La Môme », 2007) consacré par une pluie de récompenses, pour qu’on la retrouve partie à la conquête du monde aux bras de réalisateurs qu’il est bon de pouvoir énumérer sur son CV. Mais aucune performance à la (dé)mesure de son talent, qu’on sentait s’étioler à force de ne pas être brusqué. Il aura fallu attendre que Jacques Audiard décide d’investir le champ du mélo trash pour que l’actrice française soit à nouveau sublimée.  En faisant s’affronter et s’aimer Marion Cotillard et Matthias Schoenaerts dans l’adaptation des nouvelles de Craig Davidson, le réalisateur livre son plus grand film à ce jour.

Synopsis: Ça commence dans le nord. Ali se retrouve avec Sam, cinq ans, dans les bras. C’est son fils, il se connaît à peine. Sans domicile, sans argent et sans amis, Ali trouve refuge chez sa sœur à Antibes. Là-bas, c’est tout de suite mieux, elle les héberge dans le garage de son petit pavillon, elle s’occupe du petit et il fait beau. A la suite d’une bagarre dans une boite de nuit, son destin croise celui de Stéphanie. Il la ramène chez elle et lui laisse son téléphone. Stéphanie est dresseuse d’orques à Marineland. Il faudra que le spectacle tourne au drame pour qu’un coup de téléphone dans la nuit les réunisse à nouveau. Quand Ali la retrouve, la princesse est tassée dans un fauteuil roulant : elle a perdu ses jambes et pas mal d’illusions. Il va l’aider simplement, sans compassion, sans pitié. Elle va revivre.

Affiche du film De rouille et d'osSi le pitch renvoie à la dureté de «La Vie Rêvées des Anges», d’Erick Zonca, ou à l’âpreté des films sociaux des frères Dardenne, «De Rouille et d’Os  » se démarque par un traitement davantage expressionniste loin de toute morale oppressante ou d’un misérabilisme glauque qu’on se prendrait en pleine poire. Car Audiard est un réalisateur génial, avec un don du non-dit et du hors-champ qui installe à travers ses ellipses la pudeur nécessaire sur ces corps et ces âmes fracassés que rien ne cache. Ce regard total, d’une sensualité rare, est à peine atténué par la courte distance que certains jugeront salvatrice entre la caméra (et donc le spectateur) et ses acteurs.

Assemblé comme une matriochka, le film emboîte les thèmes qui se complètent et s’enrichissent, dans un brillant exercice de funambule entre ombre et lumière, rires et larmes, mort et résurrection. Beau, intense, dur, vrai, on en ressort pris aux tripes, éreinté mais heureux. Économe dans les gestes et la parole, mais débordant d’émotions, c’est à n’en point douter une nouvelle référence du genre.

«De Rouille et d’Os» est aussi la promesse d’une magnifique rencontre entre deux acteurs au faîte de leur talent. Pour celles et ceux qui n’ont pas eu l’occasion de voir le polar agricole «Bullhead», c’est l’occasion de découvrir le sublime Matthias Schoenaerts. Improbable croisement entre Ryan Gosling et un grizzly, monstre de puissance et d’animalité à la fragilité déconcertante, le natif d’Anvers impressionne par la sobriété de son jeu dans un rôle toujours casse-gueule d’écorché vif amoral lancé dans un duel permanent avec la Vie. Quant à Marion Cotillard, son interprétation est simplement magistrale. Le corps détruit, le cheveu gras, l’œil éteint, mise à nu et dépouillée de tout artifice comme jamais, elle est simplement belle et poignante.

Servi par un duo magnifique et bouleversant, « De Rouille et d’Os » refuse le pathos et le voyeurisme. Transcendant la réalité pour en faire un conte lyrique et moderne, cette histoire d’amour entre grands brûlés de la vie marque une évolution dans le cinéma d’Audiard : si ses précédents films prenaient exclusivement à l’estomac, celui-ci touche au cœur. « An instant classic » comme disent les Anglo-saxons.

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