Critique : Under the skin (avec Scarlett Johansson)

Antoine 3 juillet 2014 0
Critique : Under the skin (avec Scarlett Johansson)

Réalisateur : Jonathan Glazer
Acteurs : Scarlett Johansson, Jeremy McWilliams, Lynsey Taylor Mackay…
Genre : Science-fiction méta et sensorielle
Date de sortie française : 25 juin 2014
Nationalité : GB
Durée : 1h47
Classification : avertissement

Un alien séduit des hommes pour les tuer ensuite, et permet à Jonathan Glazer de signer l’un des chocs de l’année.

under-the-skin-affichePassée du statut d’illustre inconnue à celui de sex-symbol en seulement quelques années, Scarlett Johansson est une actrice un peu à part dans l’industrie hollywoodienne, jonglant entre films d’auteur confirmés (Vicky Christina Barcelona, Le Dahlia Noir) et blockbusters (Avengers, Captain America 2) avec le même succès et la même verve. Au-delà de ses choix de carrière parfois risqués mais souvent gratifiants, il y a chez l’actrice une volonté de déjouer les affres de la majorité des actrices bankables qui ne se reposent que (ou presque que) sur leur plastique, que ce soit par sa caricature de bombasse décérébrée dans Don Jon, ou par son bluffant effacement physique dans Her. Autant dire que cette singularité fait d’elle une sorte d’alien dans le paysage cinématographique américain. Ça tombe bien, c’est exactement le personnage qu’elle a à incarner dans Under the skin, où elle séduit des hommes pour les enlever ensuite. Jonathan Glazer ne s’y est pas trompé en reposant son film sur les épaules et le charisme de sa star, qui impose ici une présence physique incroyable, qu’on serait presque tenté d’opposer au système d’exploitation de Her, si cette interprétation ne reflétait pas encore la déshumanisation, une tentative de devenir humain quand on ne l’est pas.

Expérience scientifique.

C'est beau, mais pas forcément excitant.

C’est beau, mais pas forcément excitant.

La force d’Under the skin réside dans sa froideur, aussi bien celle de ses sublimes paysages d’Écosse que celle de son personnage. Il est d’ailleurs assez déconcertant de voir comment l’extraterrestre, avec la simple aide d’une féminité grossière et de quelques questions pour alimenter les discussions, enchaîne les cobayes. Un mode opératoire se dessine, engendré par des inspirations du slasher movie et du documentaire, pour un rendu saisissant. Les hommes sont faciles à berner, parce qu’ils ne semblent réagir qu’à leurs pulsions. La mission du film est alors la même que celle de l’alien : comprendre le corps humain et sa perception. Nous nous trouvons vraiment sous la peau de cet étranger grâce aux choix visuels mais aussi sonores de Glazer (la musique expérimentale de Mica Levi, l’accentuation d’un seul son, les sonorités étranges qui semblent venir de l’intérieur de l’alien), faisant d’Under the skin une véritable expérience sensorielle. Le pouvoir du corps se construit principalement par l’érotisme, mais ne se ressent pas (ou peu) par le spectateur. Même les différents strip-teases de Johansson (l’un des principaux arguments de promo par l’équipe marketing, les coquins) ont du mal à séduire, tant ils sont filmés de façon clinique. L’érotisme n’est pas un sentiment, c’est un phénomène qui éveille le désir sexuel, et le talent de l’actrice est ici d’effacer son corps pour que nous ne soyons pas emportés par ce que son personnage ne connaît même pas.

Expérience sensorielle.

La découverte amène à la perception.

La découverte amène à la perception.

Au travers de sa star qui repousse ses limites, le film se pose des questions sur celles du cinéma. L’apprentissage des habitudes humaines par l’alien se fait par la vue. L’œil a donc une place prépondérante dans Under the skin, et devient presque un personnage à part entière, suite à l’ouverture du long-métrage sur sa formation, au début abstraite, représentant une immensité qui rappelle l’espace, avant qu’on se rende compte qu’il s’agit d’un très gros plan. En bref, les apparences sont parfois trompeuses, comme va le découvrir l’extraterrestre. Tous les humains ne sont pas identiques. Ils ont des sentiments propres et vivent chacun avec leurs problèmes, leurs traumatismes. A ce titre, la plus belle scène du film est sans doute le dialogue qu’il ou elle a avec un homme au visage déformé par une maladie. Sans connaissance des canons de beauté, il ou elle ne comprend pas son silence et sa solitude. L’œil est innocent, objectif. Il ne fait que voir sans juger, comme une caméra. La puissance et l’innovation d’Under the skin sont là : s’éloigner le plus possible d’un point de vue humain pour coller au plus proche de celui de son protagoniste principal. Au-delà de la nouveauté de l’expérience cinématographique, notre rang de spectateur est remis en question. Nous sommes plus en corrélation avec les autres personnages du film que l’alien, alors que la mise en scène crée une distance volontaire avec ceux-ci. La caméra veut, comme pour elle, la transformation de notre œil, ce qui suscite une importante implication du public dans le contexte de visionnage.

Expérience humaine.

Quand un extraterrestre fait face au lyrisme humain...

Quand un extraterrestre fait face au lyrisme humain…

Mais Under the skin transcende bien vite cette brillante mise en abyme du processus filmique pour toucher à des thèmes plus universels. Rarement l’homme n’aura été montré aussi misérable, inconscient de ses actions. Glazer appuie avec stupeur l’absence d’émotions de son extraterrestre, qui reste stoïque face à l’agonie d’un chien ou aux pleurs d’un bébé abandonné. La complexité de cette espèce qui n’en vaut même pas la peine la fait se perdre dans la brume d’Écosse, quitte à passer à côté de la magnificence de la nature qui l’accueille. Le cinéaste n’est pas cependant cynique, il est juste lucide. Le long-métrage fait parfois preuve de sentiments sincères, mais ne s’interdit pas pour autant d’annoncer la fin de notre monde. L’homme est conscient qu’il n’est pas éternel, il ne fait que s’en moquer. La froideur du film s’amuse alors à se contraster avec des pauses lyriques de toute beauté, notamment lors d’une visite de ruines que n’auraient pas renié les poètes romantiques. Si Under the skin assure notre extinction, il s’interroge sur le valeur de ce qu’il y a perdre. Le constat est sans appel : nous ne sommes pas indispensables à la Terre, et notre absence n’empêchera pas la neige de tomber.

Magnifique, troublant, intelligent : les adjectifs manquent pour décrire la complexité d’Under the skin, qui, au-delà d’offrir son meilleur rôle à Scarlett Johansson, propose de bien belles réflexions sur les limites du cinéma et sur la valeur de la race humaine. Un pur chef-d’œuvre.

Bande-annonce : Under the skin

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