Critique : Saint Laurent (Bertrand Bonello)

Antoine 25 septembre 2014 0
Critique : Saint Laurent (Bertrand Bonello)

Réalisateur : Bertand Bonello
Acteurs : Gaspard Ulliel, Jérémie Renier, Louis Garrel, Léa Seydoux, Helmut Berger…
Genre : biopic transcendé
Date de sortie française : 24 septembre 2014
Nationalité : France
Durée : 2h30
Classification : tout public

Bertrand Bonello a autant de talent que le grand couturier qu’il décrit, et nous offre tout simplement l’un des meilleurs films français de l’année.

saint laurent afficheA première vue, un biopic de deux heures trente a tout du somnifère snob que Cannes affectionne particulièrement. Sauf que Saint Laurent n’est pas un simple biopic. Ce n’est même pas un biopic du tout, tant le film va bien au-delà de la retranscription bête et méchante de la vie du célèbre couturier, et donc bien au-delà de nos espérances de spectateur. Il faut dire que Bertrand Bonello a eu une liberté totale sur son approche de cette figure humaine devenue légende immortelle. Où s’arrête la réalité et où commence la fiction ? Qu’importe ! Coller à la vraie vie du grand Yves Saint Laurent n’est pas la priorité du réalisateur, qui veut en premier lieu nous surprendre. Nous sommes alors obligés d’avoir un œil neuf, d’observer de plus près, de dépasser nos préjugés, ne serait-ce qu’à travers le « genre » du long-métrage qui peut facilement rebuter. Ce dépassement des codes engendre alors une bien belle réaction, qui sied autant au cinéaste qu’à son personnage. Tout dans Saint Laurent est une question de regard approfondi. Un regard qui ne se fie pas aux apparences. Un regard qui voit double. Un regard qui voit son reflet.

The Double.

Tant de doubles dans la vie de Saint Laurent.

Tant de doubles dans la vie de Saint Laurent.

En effet, il ne faut pas prendre Saint Laurent que comme la vision extérieure d’un artiste sur la vie d’un autre artiste, mais comme le point de vue introspectif de son protagoniste principal, être dont le génie le dépasse petit à petit. Le film se concentre durant quelques scènes sur Pierre Bergé (Jérémie Renier), et sur sa manière, lors de réunions où la discussion devient un chaos auditif, de déifier (ou plutôt réifier ?) la figure d’YSL. C’est alors au créateur de prendre de la distance avec sa création qui le ronge. « J’ai créé un monstre, et maintenant je dois vivre avec » dit-il. En donnant un peu de lui-même à chacun de ses vêtements, le couturier se met paradoxalement à nu, se voyant dans les personnes qui portent sa marque. La sophistication se mêle à la sensibilité, à l’image de la mise en scène de Bonello, qui construit de nombreux cadres autour de miroirs, tel un gimmick représentatif de l’art d’Yves Saint Laurent.

Miroir, mon beau miroir…

Le Sept, antre de la vie.

Le Sept, antre de la vie.

La question du biopic n’est donc pas ici de partir de l’enfance de YSL jusqu’à sa mort pour faire comprendre l’essence du personnage, mais de comprendre la notion la plus importante de ce type de films (et la transcender au passage), c’est-à-dire l’identification du public à cet homme tout sauf ordinaire. La caméra fait transparaître ses émotions, ses tourments, et surtout, ses amours, grâce à une symbiose impressionnante entre Bertrand Bonello et le brillant Gaspard Ulliel (véritablement habité par son rôle), dont chaque mouvement semble appuyé, magnifié par la justesse du réalisateur dans sa façon de capter son acteur. Le détail prime, aussi bien dans la mise en scène souvent ambitieuse du cinéaste (particulièrement quand il filme le Sept, la boîte de nuit hype des années 70) que dans la narration. Ici, la volonté du cinéaste est de se concentrer uniquement sur dix ans de la vie d’Yves Saint Laurent, alors qu’il est déjà au sommet. Avec une reconstitution historique bluffante, Bonello montre que son personnage est plus qu’un artiste. C’est un symbole de son époque, celui d’une France soixante-huitarde qui ne demande qu’à changer ses codes. Il est un parallèle de ce monde qui l’échappe, représenté par l’utilisation merveilleuse du split-screen.

A la recherche du temps de Saint Laurent.

La romance entre Yves et Jacques est traitée avec une grande justesse.

La romance entre Yves et Jacques est traitée avec une grande justesse.

La légende est intemporelle, et se perd donc dans la durée. Bonello a le génie de reprendre au sein de son long-métrage l’obsession proustienne de Saint Laurent ; concevoir un temps qui nous file entre les doigts tout en le trouvant trop long. Le montage enchaîne alors les allers et venus, morcelle son histoire tel un puzzle qu’il faut remettre dans l’ordre, nous perdant dans les années comme le héros se perd dans son époque. L’alcool et la drogue semblent également nous enivrer, pour nous emporter dans le psyché de son protagoniste. Il s’agit aussi d’assumer une ultra-sensibilité qu’exacerbe l’objectif (épaulé d’une bande-originale de toute beauté). Chaque plan est calculé, millimétré pour traquer la moindre émotion, comme lors de ce travelling magistral reliant lentement YSL à son grand amour, Jacques de Bascher (Louis Garrel), lors de leur première rencontre. C’est cette justesse de ton qui prend aux tripes, et qui permet à cet être exceptionnel l’identification du public, sans que le film n’ait besoin de piocher dans un passé misérabiliste dont raffolent trop souvent les biopics. La prodigieuse idée de Bertrand Bonello est d’avoir pensé son film non comme une simple chronique de la vie d’une célébrité, mais comme une fresque opératique et complexe à la Coppola. Autant dire que l’on aimerait voir plus souvent ce type d’œuvre novatrice et audacieuse dans notre cher hexagone, surtout quand le récit est autant maîtrisé, sans jamais ennuyer malgré ses deux heures trente à première vue handicapantes. Mais encore une fois, la magie de Saint Laurent est surtout de magnifiquement refléter le créateur dont il dépeint la vie. Notre seule envie est alors de s’y replonger, avec un regard encore plus approfondi.

Porté par son immense acteur principal, Saint Laurent confirme également et définitivement le talent de Bertrand Bonello. Au-delà de s’imposer comme le paroxysme d’une rentrée française de haute volée, le long-métrage transcende les codes du biopic pour un résultat émouvant et maîtrisé. En bref, un grand film.

Bande-annonce : Saint Laurent

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