Critique : Maps to the Stars (David Cronenberg)

Antoine 31 mai 2014 0
Critique : Maps to the Stars (David Cronenberg)

Réalisateur : David Cronenberg
Acteurs : Julianne Moore, Mia Wasikowska, John Cusack, Olivia Williams, Evan Bird, Robert Pattinson
Genre : Dans les étoiles !
Date de sortie française : 21 mai 2014
Nationalité : USA, Canada, France, Allemagne
Durée : 1h51
Classification : interdit aux moins de 12 ans

David Cronenberg est de retour pour un portrait cinglant d’Hollywood, et au passage un nouveau chef-d’œuvre.

maps-to-the-stars-afficheLe mal-être du corps est le thème fétiche de David Cronenberg. Mutilée ou transformée, la chair devient dans la filmographie du cinéaste un catalyseur de la douleur, qui, avec le temps, se lie de plus en plus aux maux de l’esprit. Quoi de mieux pour le réalisateur, donc, que de se concentrer sur un milieu où la transformation du corps et de l’esprit est volontaire, bien qu’elle puisse en cacher une autre, insoupçonnée ? En effet, Maps to the Stars débute sur l’arrivée d’Agatha (Mia Wasikowska) à Hollywood. Dès le premier plan dans l’allée d’un car, la caméra isole le personnage, alors assoupie sur son siège. En clair, le film s’ouvre sur le réveil d’un protagoniste, pourtant prisonnier de ses rêves (et de la « machine à rêves ») qui ne vont pas tarder à se transformer en cauchemars. Même aidée de la map to the stars du titre (un plan indiquant où se trouvent les villas des célébrités), chaque quartier résidentiel semble se ressembler. Le génie de Cronenberg est de ne jamais livrer une mise en scène ostentatoire pour la marier avec son décor bling bling, mais au contraire d’épurer au maximum sa réalisation pour accentuer les symétries d’intérieur et autres recherches d’effets claustrophobiques, qu’il avait déjà travaillé dans Cosmopolis. Ironiquement, c’est d’ailleurs le personnage de Robert Pattinson qui conduit cette fois-ci les limousines. Chaque corps a droit à son heure de gloire, même dans une industrie aussi hiérarchisée que celle du cinéma.

Une bien étrange constellation…

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Ces belles frimousses cachent pourtant de vilaines pulsions…

Maps to the Stars est ainsi la description d’une bulle invisible, d’un monde duquel il est impossible de s’enfuir. Mais, paradoxalement, Cronenberg crée une étrange proximité entre le public et ses protagonistes, en grande partie soulignée par le déluge de références people et pop-culturelles des dialogues. La frontière du rapport fiction-réalité est constamment floutée, car même quand il élabore les structures les plus complexes, l’homme aime y mettre du désordre. Le vernis se craquelle au fur et à mesure pour dévoiler la cruauté, l’hypocrisie et l’opportunisme de ce panier de crabes qu’est Hollywood. Au milieu de cette critique, la réflexibilité du septième art par le cinéaste est étonnante, puisqu’elle repose sur la frustration. Les caméras et les micros sont absents, et seuls quelques membres d’équipes techniques peuvent s’infiltrer dans le champ. Cette invisibilité du dispositif cinématographique au sein d’une histoire ancrée dans la création filmique engendre un manque, et tout particulièrement chez l’actrice Havana Segrand (brillamment interprétée par Julianne Moore, qui a mérité son prix d’interprétation à Cannes). Le cinéma devient dès lors un complément du corps, – comme la voiture l’était pour les personnages de Crash – permettant à Cronenberg d’expliciter le sens qu’il lui donne : une illustration de l’imaginaire humain et de la monstruosité qu’il tente d’y enfouir.

The Dead Zone.

On se détend comme on peut !

On se détend comme on peut !

Si Maps to the Stars est clairement une satire d’Hollywood, David Cronenberg y parodie surtout l’aspect mythologique, pour apporter le sien. Les mythes sont universels parce qu’ils dépeignent des troubles ou des pulsions sensibles de toucher tout être humain, mais de façon exagérée et névrosée. C’est exactement le cas pour les personnages du long-métrage. Havana s’est investie dans le remake d’un film dans lequel avait joué sa défunte mère, espérant décrocher le rôle qu’elle y incarnait. Benjie (Evan Bird, à suivre de près), enfant acteur insupportable, voit, quant à lui, les fantômes de gens qu’il a connu, tandis que son escroc de père (John Cusack, génial en coach pour stars) n’est obnubilé que par la vente de son livre. Tout ce petit monde se retrouve ainsi lié par des connaissances communes, mais aussi par leurs obsessions incestueuses dignes des récits grecs. Plus on avance, plus les êtres perdent le peu d’innocence qui leur restait. Ils ne vivent que pour un espoir éphémère, que même le réalisateur a perdu. Seule la mort devient dès lors salvatrice. La mythologie d’Hollywood s’éclipse définitivement pour laisser place à la tragédie antique, qui annonce par sa symbolique une violence inexorable, que refusent de voir ces monstres à la face voilée. Cela ne nous empêche pas pour autant de rire aux actions grotesques de ces personnages aveugles. C’est dans ces moments, qui constituent de brutales ruptures de ton entre la narration premier degré et le cynisme hilarant du film, que Maps to the Stars dérange le plus.

Les Promesses de la lumière.

Evan Bird est un acteur très prometteur.

Evan Bird est un acteur très prometteur.

De ce fait, le corps cherche inconsciemment sa libération de ce milieu oppressant, permettant à Cronenberg de confirmer la maîtrise de son cinéma, qui n’a rarement paru aussi troublant. Même sans s’en rendre compte, les protagonistes sont comme prisonniers des cadres, symboles des barrières invisibles qu’ils se sont bâtis. La déliquescence qu’aime filmer le réalisateur passe donc, cette fois, par l’omniprésence de drogues et de médicaments, censés soigner du stress des plateaux. Bien entendu, l’addiction rôde et ne fait que créer une boucle sans fin, principal leitmotiv du long-métrage. C’est après avoir communiqué avec l’actrice Carrie Fisher qu’Agatha trouve l’occasion de venir à Los Angeles, et d’être engagée comme femme à tout faire par Havana. En trouvant de nouvelles victimes, la machine à rêves se perpétue. La colline d’Hollywood renvoie alors à celle que Sisyphe doit gravir en poussant son rocher, avant que ce dernier ne redescende à chaque fois. Ce cycle de la souffrance est ici représenté par l’aspect choral du film. L’accumulation de frustration fait de plus en plus déborder le vase, jusqu’à ce qu’ils soient capables, à l’instar de Benjie, d’être suffisamment inconscients pour jouer à la roulette russe.

Days of Future Past.

Faut-il briser (au sens littéral) le quatrième mur ?

Faut-il briser (au sens littéral) le quatrième mur ?

Plus inquiétant encore, Cronenberg décrit un monde où la monstruosité de l’homme est assistée, et tout particulièrement par ses créations. Ainsi, le système hollywoodien ronge petit à petit chaque personnage, tout en faisant croire qu’ils gardent le contrôle. Il se base sur des peurs, des traumatismes qui engendrent des hallucinations, à l’image d’Havana qui voit sa mère la rabaisser, car elle était plus célèbre qu’elle. La mise en scène clinique (la lumière froide, l’aspect lisse du numérique) de ce cher David accentue cette façon scientifique d’analyser ces blessures de l’esprit. Dans A History of Violence, Maria Bello enfilait son costume de pom-pom girl du lycée pour retrouver avec son mari la fougue de leur amour de jeunesse. Il faut se retourner vers le passé pour comprendre, tenter d’immortaliser ces moments pour faciliter l’interprétation psychanalytique, comme Cronenberg le fait avec sa caméra. Néanmoins, il n’est pas naïf, et sait que pour certains, les remèdes son inefficaces. Il est parfois inutile de chercher à se purifier par tous les moyens, comme l’atteste cette scène gênante où Havana est assise sur ses toilettes, avouant à Agatha qu’elle est constipée, et se demandant si elle ne va pas faire un lavement. Il y aurait encore beaucoup à dire sur Maps to the Stars, tant David Cronenberg a offert une œuvre complète, intelligente et en même temps déshumanisée. Mais le plaisir d’une telle réussite provient également des propres interprétations du spectateur. Ce qui est sûr, c’est que le cinéaste a prouvé que l’on pouvait rompre la condamnation de Sisyphe, en poussant sa filmographie vers le sommet de la colline du cinéma, sans jamais en redescendre.

La puissance de Maps to the Stars est de prouver que David Cronenberg peut encore se renouveler tout en conservant les bases des interrogations qui jalonnent sa filmographie. D’une richesse inépuisable, ce nouveau chef-d’œuvre repousse les limites du cinéma en réfléchissant à son pouvoir, et rejoint directement les classiques du genre, comme le Sunset Boulevard de Billy Wilder. Chapeau maestro !

Bande-annonce : Maps to the Stars

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