Critique : Hippocrate (Thomas Lilti)

Antoine 10 septembre 2014 0
Critique : Hippocrate (Thomas Lilti)

Réalisateur : Thomas Lilti
Acteurs : Vincent Lacoste, Reda Kateb, Jacques Gamblin, Marianne Denicourt…
Genre : comédie dramatique
Date de sortie française : 3 septembre 2014
Nationalité : France
Durée : 1h42
Classification : tout public

Deux internes en médecine se désillusionnent quant aux failles du système qu’ils servent. LE film de la rentrée.

Hippocrate-Affiche-2-FranceCas à part dans le milieu des artistes, Thomas Lilti est aussi médecin généraliste. On peut donc lui faire pleinement confiance quand il promet un regard naturaliste sur le milieu hospitalier dans son second long-métrage. Il s’agit même de la principale caractéristique d’Hippocrate, qui suit le jeune interne Benjamin (Vincent Lacoste, qu’il est appréciable de voir dans un rôle plus dramatique) dans le service de son père, accompagné d’un collègue plus expérimenté, Abdel (Reda Kateb, excellent). A priori, pas de révolution en vue dans le monde du cinéma médical, si bien que le film profite de ce statut pour mieux nous bluffer par son admirable effacement du réalisme. En effet, le cinéaste a la bonne idée de ne pas accentuer l’aspect documentaire de son film, ce qui a tendance chez d’autres à faire l’effet inverse (watch and learn Abdellatif Kechiche, tu n’as pas besoin d’insister abusivement sur la morve de ton personnage principal pour faire « vrai »). Certes, la caméra à l’épaule surfait parfois ses fausses corrections de la profondeur de champ, mais elle suit avec une grande justesse ses protagonistes, trouvant à chaque fois la distance idéale qui doit les séparer.

L’anatomie d’un hôpital.

La vie de médecin n'est pas sans conflits.

La vie de médecin n’est pas sans conflits.

Car la profonde délicatesse d’Hippocrate vient de son questionnement envers le rapprochement qu’il doit avoir avec ses personnages, tout comme ces derniers avec le monde nouveau qui les accueille. Benjamin tâtonne pour sympathiser avec ses collègues, pour rester professionnel avec son père, et surtout, pour communiquer et rassurer les patients. Sa relation au début conflictuelle avec Abdel appuie leurs visions opposées de leur métier. Le premier se voit comme un sauveur de l’ombre, qui attend tout de même une certaine reconnaissance, tandis que le second prend trop au sérieux le dévouement dû à sa fonction. Derrière son récit d’apprentissage bien mené, le réalisateur crée une connivence entre le spectateur et son duo. Leur regard sur la sacro-sainteté de l’hôpital évolue, et donc le nôtre avec. Là est la maîtrise du dispositif cinématographique de Lilti, qui, dans sa façon de flouter fiction et réalité, dissimule les ficelles de ce qu’il veut démontrer. A l’image de ses malades, le film repose sur un changement d’état, transformant l’aspect comique de la désillusion des deux internes en véritable drame quand la panne d’une machine à ECG ou le manque de personnel met en jeu des vies humaines.

Serment sur l’honneur.

Les hôpitaux ne sont-ils pas plus malades que leurs patients ?

Les hôpitaux ne sont-ils pas plus malades que leurs patients ?

Ainsi, Hippocrate dévoile au fur et à mesure son ambition de chronique sociétale, reflétant dans le quasi-huis-clos qu’il propose les mécaniques rouillées et limitées par la crise du système hospitalier français. La caméra, par ses nombreux cadres rapprochés sur ses personnages (qui offre un rapport ingénieusement terre-à-terre avec l’action), ne nous montre qu’à la fin que la gangrène s’est trop propagée. On comprend alors mieux pourquoi l’objectif cherche tant à accentuer les mouvements de ses deux héros, ou plutôt leur absence de mouvements, leur incapacité à agir face à une réglementation qui les bride. Le regard, auparavant aveuglé, devient neuf et permet au film de se conclure en apothéose sur une dispute en plan séquence entre le directeur de l’hôpital et son personnel. Cette malice qui se ressent dans l’écriture n’est pas sans rappeler la vague de fraîcheur et de renouveau que nous propose actuellement le cinéma français, et tout particulièrement l’autre bijou de la rentrée, Les Combattants, avec lequel Hippocrate partage la même irrévérence. Une irrévérence épaulée par un savoureux mélange des genres qui leur évite de se retrouver prisonniers de cases. Une irrévérence qui prône la victoire de la fiction sur la réalité sans jamais en oublier un regard acerbe sur la société. Une irrévérence qui nous bouscule gentiment pour discréditer de manière assez jouissive (et extraits à l’appui !) les Urgences et autres Dr. House. Thomas Lilti a eu la lourde tâche de nous rendre la vue, et nous ne pouvons que l’en remercier.

Hippocrate peut se targuer d’être un film ingénieux, dont la finesse de l’écriture permet de mieux émouvoir sans que ses mécaniques ne soient trop visibles. Il n’en paraît même que plus engagé, surtout dans sa manière alarmante de décrire les conditions actuelles des hôpitaux français.

Bande-annonce : Hippocrate

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