Critique : 12 years a slave

Antoine 26 janvier 2014 3
Critique : 12 years a slave

Réalisateur : Steve McQueen
Acteurs : Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender, Benedict Cumberbatch, Lupita Nyong’o…
Genre : Djangooooooo… Ah non, pardon !
Date de sortie française : 22 janvier 2014
Nationalité : USA
Durée : 2h13
Classification : Avertissement

Pour sa troisième réalisation, Steve McQueen se tourne vers un sujet sensible de l’Histoire qui le place déjà dans les favoris des Oscars. Alors, véritable réussite ou pétard mouillé ?

12 years a slave afficheOn l’a compris, les États-Unis ont mauvaise conscience. Mauvaise conscience d’une Histoire parfois contradictoire avec leur vision de la liberté, qu’ils ont souvent tenté de cacher aussi bien dans les manuels que dans les œuvres d’art. Néanmoins, par petites touches, certains cinéastes auront réussi à changer cette tendance vers la fin du XXème siècle, de Francis Ford Coppola (Apocalypse Now) jusqu’à Steven Spielberg (Il faut sauver le soldat Ryan). Et puis, en 2001, les tours jumelles s’écroulent, et avec elles la façade plutôt fragile de la puissance américaine. Dès lors, le cinéma en a profité pour dévoiler des zones d’ombres et énoncer à voix haute des sujets tabous. Les lois du marketing veulent que ce genre de films dénonciateurs et émouvants sortent vers la fin de l’année (donc souvent en début d’année suivante en France) pour pouvoir concourir aux Oscars et amplifier leur renommé. Il suffit pour cela de faire verser une petite larme ou de choquer les vieux briscards du jury de la cérémonie pour repartir avec quelques statuettes en poche. Un schéma consensuel qui impose ses codes, parfois au détriment de la force que le long-métrage voudrait offrir.

L’homme face à lui-même.

La lumière éclaire Solomon, piégé dans les pénombres de l'âme humaine.

La lumière éclaire Solomon, piégé dans les pénombres de l’âme humaine.

Tant de raisons qui pouvaient donc faire craindre l’échec de 12 years a slave, adaptation des mémoires de Solomon Northup, un homme noir libre, kidnappé puis vendu comme esclave dans le Sud une vingtaine d’années avant la Guerre de Sécession. Depuis Lincoln et Django Unchained l’an passé, il faut croire que l’esclavage est un thème qui pousse enfin les cinéastes à raconter une vérité dissimulée, et cela à travers la fiction. Les plus tatillons (n’est-ce pas Spike Lee ?) tenteront certainement d’ouvrir un débat stérile comme à l’époque de La Liste de Schindler sur le bien-fondé d’une histoire autour d’évènements aussi atroces, mais Steve McQueen ne nous en laisse pas le temps. Car c’est sans détours que le réalisateur de Hunger et de Shame filme le passage de cet homme devenu objet d’un propriétaire à un autre. Spécialiste dans la mise en scène des corps et de ses tourments, le cinéaste n’hésite pas à montrer les coups de fouet et les cicatrices pour renforcer la déshumanisation progressive de ses victimes.

Dans ses yeux.

12 years a slave 3

Quand Sherlock donne un violon…

Insoutenable sans avoir besoin d’être gore, 12 years a slave surprend plutôt quand McQueen laisse son chef opérateur s’amuser à magnifier un coucher de soleil ou les marécages dans lesquels Solomon travaille. Cette esthétique soignée dans laquelle le film se complaît un peu trop détonne et dérange. Comment peut-on millimétrer ses plans comme des tableaux pour sublimer des horreurs pareilles ? Justement, choquer est le but premier du long-métrage qui devient dès lors une véritable leçon de regard, ou plutôt d’absence de regard. Pour survivre, Solomon est obligé de se taire, de cacher ses aptitudes pour ne pas éveiller la méfiance de ses maîtres. La Bilble sert de prétexte à de sombres esclavagistes refusant de voir en face la violence qu’ils commettent. Cette dernière est  habituelle dans cet univers où personne ne s’étonne de rien, où personne n’intervient. Tout le monde détourne les yeux, comme lors de ce plan-séquence interminable où Solomon est pendu, ne trouvant un appui qu’avec la pointe de ses pieds dans la boue. Des figures entrent et sortent du champ sans s’attarder sur la situation. Même des enfants jouent aux alentours.

L’Histoire sans fin.

On sent l'assurance de Solomon face à ce taré de Epps !

On sent l’assurance de Solomon face à ce taré de Epps !

La force de 12 years a slave réside ainsi dans cette épopée passive et aveugle, durant laquelle le personnage est incapable d’agir, tout comme le spectateur. Ce dernier, résigné à serrer les dents, ne souhaite alors qu’entrer dans l’écran et repeindre de sang les murs des maisons esclavagistes à la manière de Django Unchained (auquel le film fait parfois quelques rappels). Mais la vengeance tarantinienne n’a pas lieu et Solomon reste faible, se contraignant même devant sa famille à s’excuser d’avoir été asservi. La bonne foi du film évite dès lors le biopic à l’artificialité lacrymale. La performance de Chiwetel Ejiofor y est pour beaucoup mais le reste du casting n’est pas en reste, de l’ambigu Benedict Cumberbatch au bipolaire et inquiétant Michael Fassbender en passant par la révélation Lupita Nyong’o. Les larmes du spectateur sont sincères et lui brouillent même la vue. Steve McQueen réussit l’exploit de raconter l’Histoire au travers d’une histoire et de nous impliquer pour marquer nos esprits. Le regard caméra de Solomon vers la fin du film prend alors tout son sens : il nous prend à témoin. Nous ne pouvons plus dire que nous n’avons rien vu.

Avec 12 years a slave, Steve McQueen parvient à mêler l’aspect inhumain de son contexte à l’émotion vive de ses personnages. Le cinéaste en profite pour livrer une réflexion intéressante sur le point de vue au cinéma. Nul doute que le film repartira avec des statuettes dorées. Mais ce sera mérité.

Bande-annonce de 12 years a slave

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3 Commentaires »

  1. mikeO 27 janvier 2014 at 9 h 51 min - Reply

    qu’est ce qu’ils ont en France contre Spike le , ils n’ont pas l’habitude d’entendre un noir qui donner son avis en France?

    autre ment Spike Lee à adoré le film de Mc queen…

  2. Antoine
    Antoine 27 janvier 2014 at 20 h 05 min - Reply

    Le problème n’est pas que Spike Lee donne son avis alors qu’il est noir, mais plutôt qu’il sépare beaucoup trop les blancs des noirs (ce qui est selon moi une certaine forme de racisme). Il a notamment créer un débat l’année dernière autour de Django Unchained, trouvant le film répugnant et déclarant même que Tarantino n’a pas de légitimité réaliser un film sur l’esclavage parce qu’il est blanc. Non mais c’est quoi ces conneries ?! C’est comme ceux qui disaient que seul un juif pouvait réaliser La Liste de Schindler ! C’est absurde et c’est le meilleur de séparer l’humanité en plusieurs catégories.

  3. Antoine
    Antoine 27 janvier 2014 at 20 h 06 min - Reply

    C’est le meilleur moyen*

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