Critique : Cartel

Antoine 16 novembre 2013 0
Critique : Cartel

Réalisateur : Ridley Scott
Acteurs : Michael Fassbender, Javier Bardem, Cameron Diaz, Brad Pitt, Penélope Cruz
Genre : Après la vie, la mort selon Ridley Scott.
Date de sortie française : 13 novembre 2013
Nationalité : USA, GB, Espagne
Durée : 1h51
Classification : Avertissement (mais pensez plutôt Interdit aux moins de 12 ans !)

Ridley Scott est de retour, mais pas pour nous jouer un mauvais tour…

cartel_afficgePrometheus avait laissé un goût d’inachevé, voulant à tout prix combiner deux univers mal assortis (Alien et la SF plus explicitement métaphysique), mais fonctionnant malgré tout par son esthétique maitrisée et son hypothèse déconcertante de la création de la race humaine, résumée à une expérience scientifique ayant donné naissance à de misérables créatures de Frankenstein. Il faut bien comprendre que depuis quelques années, Ridley Scott a des idées noires. Sans vouloir faire de la psychologie de comptoir (je ne connais pas personnellement le Sir), la mort de son frère Tony l’a probablement déprimé et conforté dans sa vision déplorable de son espèce. Ainsi, en s’alliant avec l’écrivain Cormac McCarthy, auteur de La Route et de No Country for Old Men (qui signe ici son premier scénario), autant dire qu’il ne fallait pas s’attendre à un petit film d’action décontracté avec Cartel ! Heureusement, on en est loin, très loin…

Des paroles, des paroles, des paroles…

Ironie, quand tu nous tiens...

Ironie, quand tu nous tiens…

La grande force de Cartel réside justement dans cet éloignement volontaire des poncifs hollywoodiens du film de gangsters. L’intrigue se révèle assez sommaire, ne nous expliquant que très peu le déroulement de l’opération. Même les personnages ne dévoilent pas leur vie privée, à commencer par le protagoniste principal, un avocat dont on ne connaît pas le nom (Michael Fassbender, génial) qui se lance dans un trafic en lien avec la mafia sans en comprendre la dangerosité. On réalise alors un peu mieux pourquoi Scott a réuni le casting le plus indécent de l’année (Bardem, Diaz, Pitt, Cruz !). Il ne cherche à en faire que de simples figures sans réel visage, représentants d’un rêve américain illusoire de petites gens qui se regardent le nombril sans saisir la réalité des choses. Si Cartel décontenance autant, c’est parce qu’il repose sur du vent, sur des mots. Sans jamais expliciter, les personnages s’amusent à métaphoriser dans de longs et beaux dialogues parfois incompréhensibles sur l’instant. La verve littéraire de McCarthy fait alors des merveilles (bien qu’il se complait parfois un peu trop dans cette voie), alors que Ridley accentue à grands coups de métaphores visuelles et de champs contre-champs incroyablement fournis par les décors son récit.

Sir Mister Freeze.

"Regarde-moi ces abrutis !"

« Regarde-moi ces abrutis ! »

La préparation est le maître-mot de Cartel. On discute, on se prépare, on prend son temps et l’action arrive si soudainement qu’on ne s’y attend pas. Qu’il s’agisse de l’installation d’un piège menant à l’un des meurtres les plus originaux et jouissifs vus récemment au cinéma ou encore une poursuite se concluant sur une fusillade volontairement décevante, le film surprend dans ses fulgurances de violence allant à un rythme crescendo, filmées à travers les couleurs froides et métallisées de Dariusz Wolski. Si Ridley Scott voulait se rapprocher du génie de Stanley Kubrick dans Prometheus en repompant par-ci par-là 2001 : l’Odyssée de l’Espace, il parvient ici de manière bien plus pertinente à rappeler Orange Mécanique avec son effroyable objectivité. L’omniscience du spectateur et les airs faussement stéréotypés des personnages permet de deviner leur destin souvent tragique qu’ils refusent de voir. La caméra reste statique et symétrique, longe les décors quand le besoin en est, assiste à la mort des personnages et passe tout de suite après à autre chose.

No country for men !

Ce pauvre Michael Fassbender assiste à la déchéance de son espèce...

Ce pauvre Michael Fassbender assiste à la déchéance de son espèce…

Cartel est donc bien un film déprimé et déprimant, nous faisant assister à la descente aux Enfers de mâles corrompus par l’argent et leur fascination quelque peu misogyne des femmes. Toujours aussi cinglant et juste quant à sa vision des États-Unis, Cormac McCarthy fait contraster les appartements lisses des personnages principaux aux routes désertes, accentuant ces chutes d’Icare sous le soleil chaud de la frontière américano-mexicaine. Cartel devient dès lors un incroyable film sur le déni, qu’il s’agisse de celui de son pays décrit face à ses voisins ou encore celui de la race humaine refusant sa bêtise et sa violence. Certes, on pourra reprocher à Ridley Scott et à son scénariste d’un peu trop expliciter leur intellectualisation de leur propos au sein d’un long-métrage volontairement lent, mais ils ne font finalement que livrer une forme mineure pour des personnages mineurs, dont ces derniers ne perçoivent pas le fond pourtant si bien pensé du duo. Ridley Scott n’a pas encore retrouvé la maestria d’Alien et de Blade Runner, mais on se réjouit du moins de le voir offrir son meilleur opus depuis Mensonges d’État.

Malgré des critiques assez assassines, Cartel est un film à défendre ne serait-ce que pour sa volonté de faire un gros doigt d’honneur aux codes hollywoodiens. Livré par son casting cinq étoiles et une mise en scène toujours aussi soignée, il n’est pas étonnant que le public ait été décontenancé face à une froideur et une lenteur cachant une réflexion particulièrement sombre. Néanmoins, je vous conseille de foncer dans les salles pour savourer ce doux crû de Sir Ridley.

Bande-annonce de Cartel

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